Contre la Banque Mondiale, « La Banque du Sud est une alternative, pas celle des BRICS »

Publié le : 18 février 20209 mins de lecture

Alors que les USA s’apprêtent à remonter les taux d’intérêts qu’ils avaient baissé lors de la crise de 2007/ 2008, que cette hausse va avoir des effets désastreux sur toutes les dettes « publiques » et particulièrement sur les pays en développement, il nous est apparu important de reproduire l’interview donnée par Eric Toussaint sur le sujet. Traitant du projet de Banque du Sud, il pointe ici, non seulement les problèmes spécifiques de l’Amérique du Sud, mais aussi de tous les pays « pauvres » et repose encore une fois les questions : Est-il toujours vital, pour les pays en développement, de sortir du piège infernal de la Dette tendu par la Banque Mondiale ? L’idée d’une Banque Alternative, animée par les pays du Sud reste-t-elle d’actualité et toujours plausible ? (Pour la rédaction : François Charles, Romuald Boko)

Les BRICS annoncent vouloir créer une alternative à la Banque mondiale (BM). Une bonne nouvelle pour le développement ?

 Vouloir créer une alternative à la BM serait en effet une excellente nouvelle, mais je ne crois pas du tout que ce soit le cas ici. Les cinq États qui constituent les BRICS sont des pays capitalistes émergents qui cherchent à préserver leurs intérêts, dans la mesure où le Fonds monétaire international (FMI) et la BM sont des instruments contrôlés par les grandes puissances traditionnelles. La Nouvelle banque de développement (NBD) se différencie, en promettant de ne pas mettre de conditionnalités, telles que des plans d’ajustement structurel, à ses prêts et d’appliquer – mais le fera-t-elle ? – le principe : un pays-une voix. Ça ne suffit pas à en faire une alternative. Ce serait juste un moindre mal.

 Si je résume : on échangerait une BM soumise à Washington par une NBD au service de l’impérialisme chinois ?

On peut parler, à la suite de l’économiste brésilien Rui Mauro Marini, de sous-impérialisme, au sens que ces pays, Brésil et Chine en tête, investissent massivement dans les pays en développement pour défendre des intérêts politiques ou économiques propres, pas pour le développement des récipiendaires des fonds. Ce qui les différencie du vrai impérialisme, comme celui des États-Unis, c’est qu’ils n’emploient pas – encore ? – de moyens militaires. A l’exception de la Russie.

 Que serait, selon vous, une vraie alternative à la BM ?

L’annonce en 2007 de la création de la Banque du Sud (BdS) représentait cet espoir. À la demande du président Rafael Correa, j’ai participé à la rédaction de la position équatorienne lors de la création de la Banque du Sud, puis à un conseil des ministres des sept pays fondateurs. L’Équateur et le Venezuela avaient une vision claire d’un établissement devant servir l’emploi et l’intégration continentale. Et des projets très concrets, comme une industrie pharmaceutique de produits génériques ou la reconnexion des pays d’Amérique du Sud par le rail, avec production de matériel roulant, qui aurait aussi signifié moins de pollution et des avancées industrielles et technologiques. La BdS, c’était encore une monnaie commune et alternative, « le sucre ». Ou l’idée de transférer des moyens des pays les mieux dotés en réserves de change vers les autres. C’était un projet d’intégration, qui tenait compte de l’intérêt des peuples et aurait pu s’élargir sans peine à l’Amérique centrale et à la Caraïbe, notamment car il se voulait transparent – comptes publics, audits externes – et démocratique. Pour être alternatif à la BM, il fallait être un exemple, et donc ambitieux. Ainsi, il était exclu que les fonctionnaires de la BdS bénéficient d’une immunité judiciaire, contrairement à ceux de la BM… Malheureusement, ce projet est aujourd’hui paralysé. Sept ans après sa fondation, la banque n’a octroyé aucun prêt !

 La Banque des BRICS connaîtra-t-elle un meilleur sort ?

Parviendront-ils à se mettre d’accord sur des projets ? On peut se demander si ces cinq pays ne s’associent pas surtout pour montrer aux puissances traditionnelles qu’ils pourraient le faire. En réalité, selon moi, ces cinq pays ont peu d’intérêts communs.

 Ont-ils la surface financière pour faire vivre une telle banque ?

Sans aucun doute ! La Chine, à elle seule, possède plus de 3000 milliards de dollars de réserves de change dont elle ne sait que faire. C’est énorme, presque deux fois le total des dettes publiques externes des pays en développement. Une bonne part de cet argent est placé en bons du Trésor américain : la Chine est la première créancière des États-Unis. Le Brésil et la Russie, également, ont des réserves très importantes. Seule l’Afrique du Sud aura de la peine à mettre les 10 milliards de dollars au capital de départ de l’établissement.

 L’investissement du Brésil dans la NBD ne signe-t-il pas l’acte de décès de la BdS ?

Celle-ci est déjà mal en point… Mais, avec ou sans le Brésil, l’Amérique du Sud possède encore les moyens financiers de démarrer ce projet. Selon moi, Brasilia est le principal responsable du blocage. Le Brésil possède sa propre banque de développement, la BNDES, qui investit énormément à l’étranger. Son poids, en Amérique du Sud, équivaut à celui de la Banque interaméricaine de développement et aux prêts de la BM dans la région ! Le Brésil la privilégie. Il n’a participé à la BdS que pour freiner un concurrent potentiel.

 Cet échec et les difficultés financières de l’Argentine et du Venezuela ne sont-ils pas le signe que le rêve d’indépendance latino-américain était hors de portée ?

Au moment où Hugo Chávez a proposé la BdS, le projet était tout à fait raisonnable ! L’erreur a peut-être été de penser qu’il fallait à tout prix mettre le Brésil dans le coup. La plupart des pays du continent ont quand même prouvé qu’ils pouvaient s’éloigner du consensus néolibéral. Des structures nouvelles ont commencé à fonctionner, telle que l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA). Il y a aussi la décision de l’Équateur, de la Bolivie et du Venezuela de se retirer du tribunal de la BM en matière d’investissement. Et l’augmentation des impôts payés par les entreprises étrangères qui exploitent les ressources naturelles. C’est insuffisant en regard du potentiel réel de ces pays et des défis à relever, mais il est encore temps : il faudrait une réaction forte dans les deux ans à venir. Des responsables gouvernementaux poussent dans ce sens. Sans quoi je crains que le sous-continent n’aille vers de grandes difficultés financières. Un scénario semblable à celui de la crise de la dette de 1982 est dans l’air.

 Y-a-t-il des signes avant-coureurs ?

Oui, les États-Unis se préparent à augmenter les taux d’intérêts qu’ils ont massivement baissés avec la crise de 2007-2008. Cela va renchérir le refinancement de la dette au moment même où les revenus des États sud-américains sont menacés par une baisse de la demande mondiale de matières premières. Je crains que ces pays ne se rendent compte d’ici deux à trois ans qu’ils ont raté une magnifique occasion, durant la décennie passée, de se doter d’instruments financiers alternatifs destinés à les blinder contre des décisions prises par les pays du Nord.

Les enjeux financiers du développement n’ont plus de secrets pour Eric Toussaint. Fondateur en 1990 du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), ce politologue belge a notamment été associé par le gouvernement de Équateur au lancement de la Banque du Sud. Malgré la paralysie actuelle de cet organisme, M. Toussaint continue de croire à ce projet initié en 2007 par sept États sud-américains comme une alternative progressiste à la Banque mondiale

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