Et si l’Afrique refusait de payer sa dette ?

Publié le : 18 février 202011 mins de lecture

D’aucuns disaient que Thomas Sankara* était en avance sur son temps lorsqu’en juillet 1987, il dénonça ouvertement devant les Chefs d’Etat de l’OUA, la défunte Organisation  de  l’Unité  Africaine, « le système de dette mis en place par les puissances occidentales  avec  la  complicité des dirigeants du Sud pour confisquer la souveraineté des peuples ». Sankara appela à la création d’un front uni contre la dette.

1987, 2014, actualité de la Dette

Mais  en  fait,  qui  doit  quoi à qui ? La spirale de la dette dans laquelle les peuples africains, latino-américains et asiatiques sont engloutis de- puis des décennies a fini par révéler sa faillite idéologique. Le FMI et la Banque Mondiale, pendant longtemps, tapis dans   un   libéralisme   excessif, ont contribué à nourrir, à Washington DC, à New York, à Paris ou à Londres ce que Graham Hancock appelle les nababs de la pauvreté qui se disaient  pourtant  au  service de  l’humanité.  La  forteresse «Breton Woods» qui a ouvert la boîte de pandore du business de la dette, devrait commencer à rabattre de ses pré- tentions et de ses espérances. Et pour cause ! Aujourd’hui, le «marché de la dette» partout dans le monde, ne fait plus recette, les marchands étant tous aux abois.

D’aucuns disaient que Thomas Sankara était en avance sur son temps lorsqu’en juillet 1987, il dénonça ouvertement devant les Chefs d’Etat de l’OUA, la défunte Organisation  de  l’Unité  Africaine, « le système de dette mis en place par les puissances occidentales  avec  la  complicité des dirigeants du Sud pour confisquer la souveraineté des peuples ». Sankara appela à la création d’un front uni contre la dette. La suite du macabre «thriller»…, on la connaît.

Ironie du sort, vingt cinq ans plus tard, alors même que ce système continue de confisquer la souveraineté populaire et d’appauvrir la population africaine, les peuples du Nord sont eux aussi victimes d’une crise de dette sans précédent. La crise des subprimes (éclatement de la bulle spéculative) dans l’immobilier américain et européen a en effet provoqué chez les Etats occidentaux une réaction d’orgueil : sauver  et  sauver  seulement les banques, symboles attitré du  capitalisme,  bref  sauver la finance. Sans consultation populaire donc, les Etats ont contracté  des  prêts  auprès des grandes banques (FMI et Banque Mondiale) pour sauver les finances intérieures. Mais de quelle légitimité relèverait une telle dette ?

Ce qui est certain, les peuples qui ont croupi sous le faix de l’endettement des Etats dont les gouvernements sont les seuls responsables ne doivent ni argent, ni or, ni bronze, ni pétrole, ni gaz ou autres aux créanciers internationaux. Puisqu’à aucun moment, ils n’ont été consultés dans le processus de l’endettement qui s’est déroulé au détriment de leur accord fut-il tacite ou express.

Désormais mondialisée, toujours illégitime….

Conséquence, cette dette publique illégitime s’est aggravée en Europe. Autrefois réservés aux pays du Sud, les conditionnalités et les mesures d’austérité ont fini par gagner le Nord, plongeant les peuples dans un désarroi de plus en plus grand. La situation actuelle en Grèce, au Portugal, ou encore en Irlande où le FMI intervient directement dans les affaires internes des États, aux cotés de l’Union européenne (UE) et de la Banque centrale   européenne   (BCE), n’est pas sans rappeler celle des pays du Sud au début des années  80.  Les  mouvements d’indignation 99%, assiégeant les rues d’Athènes, de Bruxelles, de New York pour tenter de briser l’asphyxie de la dette imposée par les 1% de  la  sphère  oligarchique,  a confirmé une vieille prophétie éclairée du réseau Jubilé Sud qui disait : «Nous ne devons rien, nous ne payons rien !». Un retour anecdotique, diriez-vous, à la lutte contre l’économie « Casino» dont parlait Thomas Sankara. Et c’est sans ambages, si   l’Afrique,   dans cette veine, découvrait assez tôt, les vertus de l’indignation pour revendiquer, comme le  préconisait  Eric  Toussaint, l’annulation, sans aucun mécanisme  hypothétique  (l’initiative PPTE par exemple), de sa dette vis-à-vis des institutions de Breton Woods. Ceci pour cinq bonnes raisons : Premièrement,  la morale. L’argument “quand on a des dettes, on les paie” ne tient plus à l’égard des pays africains,  la  situation  de  crise ayant été déclenchée par des facteurs  extérieurs  indépendants de leur volonté (hausse des taux d’intérêt, chute des cours des matières premières etc.).

De surcroît, cette dette est largement immorale car elle fut souvent contractée par des régimes non démocratiques, voire dictatoriaux, qui n’ont pas utilisé les sommes reçues dans l’intérêt de leurs populations. Les créanciers ont prêté en connaissance de cause, pour  leur  plus  grand  profit, et ne sont donc pas en droit d’exiger des peuples qu’ils remboursent.

Le deuxième argument relève de la négation de la conditionnalité financière. Suite aux plans d’ajustement structurel imposés par le FMI, l’essentiel de la politique économique des pays du Sud est décidée à l’extérieur du pays concerné, notamment à Washington, à Londres, à Paris ou à Bruxelles. La dette permet aux créanciers d’exercer des pouvoirs exorbitants sur les pays endettés. Les pays qui sont soumis au diktat des créanciers représentés par le FMI et la Banque mondiale ont été au fil du temps contraints d’abandonner toute souveraineté. Les gouvernements ne sont plus en mesure de mettre en place la politique pour laquelle ils ont été élus. C’est une nouvelle colonisation.

Troisième argument lié à l’économie ; la dette africaine a déjà été remboursée plusieurs fois, Tenez : pour 1 $ dû en 1980, les Etats africains ont remboursé 4 $ mais en doivent encore 2,5 ! Elle a donc cessé de faire l’objet d’un remboursement équitable dans des conditions régulières, pour devenir un instrument de domination implacable, dissimulant racket et pillage. Tout compte fait, la dette organise un transfert de richesses des populations du Sud vers leurs riches  créanciers.  En  outre, les infrastructures et les services publics essentiels représentent de puissants facteurs de croissance endogène. Or tout investissement public conséquent est rendu impossible par le poids de la dette et la contrainte d’austérité budgétaire qu’il implique.

Les peuples ne sont pas redevables !

Le quatrième argument relève du droit. Le droit international reconnaît la nécessité de prendre en compte la nature du régime qui a contracté les dettes et l’utilisation qui a été faite des fonds versés. Cela implique une responsabilité directe des créanciers. La doctrine de la dette odieuse a été conceptualisée en 1927 par Alexander Nahum Sack, ancien ministre du tsar Nicolas  II  et  professeur  de  droit à Paris : «Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans  les  intérêts  de  l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir.» Ainsi, si un régime dictatorial  est  remplacé  par un régime légitime, ce dernier peut prouver que les dettes n’ont pas été contractées dans l’intérêt de la nation ou l’ont été à des fins odieuses. Dans ce cas, elles peuvent être frappées de nullité et les créanciers n’ont qu’à se retourner vers les dirigeants de la dicta- ture à titre personnel.

Le cinquième argument est d’ordre   écologique.  Depuis plusieurs siècles, les ressources du Sud sont exploitées au bénéfice exclusif des pays riches. La force, nécessaire à l’époque pour s’emparer de ces richesses, est désormais remplacée par les plans d’ajustement structurel. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette ou se maintenir au pouvoir, les gouvernements sont prêts à surexploiter et à brader les ressources naturelles, à mettre en péril la bio- diversité, à favoriser la déforestation, l’érosion des sols, la désertification. En Afrique, 65 %  des  terres  cultivables  ont été  dégradées  au  cours  des cinquante dernières années. Les plans d’ajustement structurel exigés par les créanciers impliquent des politiques qui, structurellement,  aboutissent à une dégradation de l’environnement   car   elles   ôtent à  l’État  la  responsabilité  de gérer dans l’intérêt commun le   territoire,   les   ressources naturelles, les équilibres écologiques…

Les conditions environnementales sont   donc très insuffisamment prises en  compte  dans  le  système actuel, contrairement aux intérêts  économiques,  financiers et géopolitiques. Annuler la dette et permettre enfin aux  populations  de  décider de   l’affectation   des   fonds les  concernant  est  l’unique moyen  d’intégrer  la  donne écologique  à  la  notion  de développement.  Ces  raisons ne fonderaient-elles pas une revendication de l’annulation totale de la dette africaine ou un refus pure et simple de son paiement ?

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