La Banque mondiale sur le banc des accusés

Publié le : 18 février 202011 mins de lecture

Au début du mois de décembre passé, le CADTM invitait plusieurs organisations à rencontrer Najib Akesbi, enseignant et chercheur marocain, actuellement en procès contre la Banque mondiale Banque mondiale BM La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies. En 2011, 187 pays en étaient membres. Cliquer pour plus… . L’affaire est digne d’attention étant donné que c’est la première fois que la Banque mondiale accepte une assignation à comparaître… pour finalement invoquer son immunité. Ce procès, même s’il n’aboutit pas, permet néanmoins de soulever un certain nombre de questions quant à la crédibilité et la recevabilité de l’institution financière internationale.

Le procès porte sur une recherche baptisée Ruralstruc menée par la Banque mondiale , BM La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies. En 2011, 187 pays en étaient membres.  A la fin 2005, Najib Akesbi est contacté par un chercheur du CIRAD français, mis à la disposition de la Banque mondiale pour coordonner le programme de recherche en question.

Il accepte de s’y engager avec ses collègues, Mohamed Mahdi et Driss Benatya, parce qu’elle rejoint le champ d’investigation qui les occupent depuis de nombreuses années. L’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat où travaillent les chercheurs, accepte de mener la première phase de recherche qui élabore le cadre dans lequel seront analysées les données de la seconde phase. Les résultats de cette première phase sont intéressants et donnent même lieu à une publication en 2008. Pour la deuxième phase, la Banque mondiale fait appel à un bureau d’étude marocain pour la phase opérationnelle de récolte de terrain et d’analyse des données. Le bureau d’études conclut quant à lui un contrat de consultant avec les chercheurs qui avaient travaillé sur la première phase. Les chercheurs relèvent rapidement que les données récoltées ne sont pas fiables, en raison de nombreuses carences au niveau de la collecte des données et de leur traitement. Ils demandent de pouvoir avoir accès à la base de données afin de redresser ce qu’il était possible de redresser, mais on le leur refuse. Suite à la répétition de leur demande, leur contrat avec le bureau d’étude est de surcroît résilié. Le plus grave encore est que parallèlement, les bailleurs de la Banque mondiale ordonnent au bureau d’études de modifier arbitrairement des données (donc de les falsifier) et de les intégrer en conséquence dans le rapport final, à l’insu et contre la volonté des chercheurs marocains.

Face à de tels actes gravissimes, ces derniers vont alors interpeller les instances « de médiation et d’éthique » de la Banque mondiale, sans résultats. Ils interpellent ensuite les autres partenaires du projet dont le CIRAD, l’AFD, le FIDA, sans aucun résultat non plus. Ils se tournent enfin vers les responsables politiques marocains (gouvernement, parlement), mais n’en obtiennent aucune réponse non plus. C’est donc en dernier recours que Najib Akesbi et ses collègues se tournent vers l’option d’une action en justice. Leur plainte pour « faux, usage de faux et usurpation de biens et de noms » porte sur le fait que la Banque mondiale a publié une étude dont ils ont été « usurpés » et dont certains résultats sont falsifiés.

Cette affaire permet de soulever une série de questions sur les pratiques et politiques de la Banque mondiale, notamment dans le domaine de l’agriculture.

A qui la Banque mondiale rend-elle des comptes ?

Premièrement, et puisqu’on se situe dans le cadre d’un procès, se pose une question purement juridique : la Banque mondiale est-elle justiciable ? Lorsqu’ils se sont tournés vers l’option d’un procès, les chercheurs marocains et leurs conseillers juridiques ont dû d’abord évaluer la possibilité ou non de poursuivre la Banque mondiale. Depuis la création de celle-ci, seule une plainte pour harcèlement de la part d’une employée de la Banque mondiale aux États-Unis était jusqu’alors connue et avait du reste été rejetée par la juridiction saisie. Les actes du jugement contenaient par contre la mention suivante :« Nous sommes persuadés que les membres de la BM ont eu l’intention de supprimer l’immunité de la Banque seulement pour les actions visant ses activités externes et des contrats, et pas pour les actions déclenchées par ses fonctionnaires ». Cela signifierait donc que les actions externes de la Banque mondiale pourraient être jugées. Par ailleurs, les plaignants se basent sur une recherche effectuée par le CADTM et qui conclut en faveur de la justiciabilité de la Banque mondiale en vertu de l’article 7 section 3 de ses propres statuts : « La Banque ne peut être poursuivie que devant un Tribunal ayant juridiction d’un État membre où elle possède un bureau, a désigné un agent chargé de recevoir les significations ou notifications de sommations ou a émis ou garanti des titres  ». Étant donné qu’elle a un bureau à Rabat, la Banque mondiale serait donc bien justiciable. Après avoir longtemps tergiversé, le Bureau de la Banque mondiale à Rabat a finalement accepté de comparaître devant la justice marocaine, ce qui est en soi une première mondiale. Mais devant le tribunal, ses avocats ont continué à plaider l’immunité diplomatique, en invoquant cette fois non pas les statuts de la Banque mais « l’accord de siège » conclu avec les Autorités marocaines en 1998…

En fait, derrière cette question purement juridique se pose la question plus large de la redevabilité de la Banque mondiale. A qui la Banque mondiale rend-t-elle des comptes ? En Belgique, le financement de la Banque mondiale est assuré par le budget de la coopération au développement tandis que le pouvoir de décision revient au SPF Finances. La Belgique fournit en outre un financement structurel, qui n’est donc pas lié à des projets spécifiques mais au fonctionnement global de l’institution.

Un financement global, une gestion hybride, tous les éléments sont réunis pour que le monitoring par la Belgique des budgets alloués à la Banque mondiale soit difficile. Or les pratiques de la Banque mondiale vont souvent à l’encontre des orientations défendues par la coopération belge.

Implications dans le domaine agricole

Afin d’éviter un procès d’intention, Najib Akesbi et ses collègues estiment que ce n’est pas à eux mais à ceux qui ont falsifié les données de leur rapport à expliquer pourquoi ils ont commis un acte aussi grave. Mais c’est bien pour mettre à jour ce genre de pratiques de l’institution qu’ils ont poussé leurs démarches jusqu’au procès. La Banque mondiale a en effet une influence considérable sur les politiques, notamment agricoles, menées par les gouvernements du Sud. Et la Banque mondiale promeut essentiellement la libéralisation, l’ouverture des marchés, bref le tout au marché et au business. Une position qui va souvent à l’encontre des droits économiques et sociaux des populations des pays qui doivent en suivre les recommandations. Lors d’une table ronde sur la cohérence des politiques pour le droit à l’alimentation organisée en 2013 au Parlement fédéral, les ONG avaient déjà mis en lumière l’écart qui existait entre la politique belge en matière d’appui à l’agriculture familiale et à la sécurité alimentaire et les pratiques de la Banque mondiale consistant à encourager les accaparements de terres. Elles avaient également souligné le manque de contrôle de la part des responsables politiques belges sur les politiques menées par la Banque mondiale.

Récemment la campagne Nos terres, Notre business, lancée par l’Oakland Institute et suivie par de nombreuses organisations à travers le monde, a souligné le rôle néfaste du nouveau programme Benchmarking the Business of Agriculture sur le droit à l’alimentation des populations. Basé sur le modèle du Doing Business, il est destiné à fournir un indicateur du degré d’ouverture du secteur agricole des pays aux investissements étrangers. Cet indicateur permettra notamment de connaitre le niveau de facilité avec lequel un investisseur peut acquérir des terres dans le pays, favorisant par-là l’allégement des mesures administratives et donc, par conséquence directe, les accaparements de terres. Des études pilotes ont déjà été réalisées en vue de l’établissement de cet indicateur dans une dizaine de pays, dont le Maroc. Imaginons donc que les études sur lesquelles se basent ces indicateurs soient elles aussi tronquées, comme l’ont été les données récoltées par le bureau d’étude dans le cas du programme Ruralstruc ; les conséquences peuvent en être considérables.

La vision du partenariat selon la Banque mondiale

Enfin, la place des chercheurs du Sud dans les recherches produites par la Banque mondiale est également discutable au vu des réactions de l’institution face aux objections de Najib Akesbi et ses collègues. Au-delà des questions juridiques de propriété intellectuelle, c’est la vision du partenariat défendue par la Banque mondiale qui est remise en question. Lorsque des chercheurs du Nord et du Sud collaborent, cette affaire montre qu’en dernière instance seul l’avis des premiers semble être pris en compte. Ironie de l’histoire, ou pure hypocrisie, le site du CIRAD, qui a assuré la coordination du projet, rappelle que le travail de recherche dans le cadre de Ruralstruc a été effectué dans une « démarche novatrice » de « partenariat avec sept équipes nationales qui ont recueilli, analysé les données, et participé à la mise en débat des résultats du programme, dans leur pays et à l’international ». 

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